Dans la mythologie nordique, de nombreux dieux se partagent les rôles, des guerriers puissants aux sages créateurs, en passant par des entités mystérieuses. Parmi ces figures, Vé est un des plus énigmatique, car peu d’écrits le mentionnent. Frère d’Odin et de Vili, il prend une part active dans l’histoire de la création du monde. Redécouvrons ensemble ce personnage issu d’une illustre famille.
I. Les origines de Vé dans la mythologie nordique
Vé fait partie de la première génération des dieux nordiques, étant l’un des trois fils de Bor et Bestla. Bor, fils de Buri, fait partie de la lignée des dieux Æsir, une dynastie divine qui, selon les légendes, est responsable de la création du monde tel que nous le connaissons. Bestla, quant à elle, est une géante, issue de la lignée des Jötnar, des créatures souvent en conflit avec les dieux. Cela signifie que Vé, tout comme ses frères Odin et Vili, possède à la fois un héritage divin et une ascendance géante, un fait qui pourrait expliquer les nombreuses tensions entre les dieux et les géants dans les récits nordiques. Le nom de Vé, en vieux norrois, signifie « sacré » ou « sanctuaire », indiquant son lien avec la spiritualité et les rituels. Son existence est principalement attestée dans l’Edda en prose de Snorri Sturluson, bien qu’il apparaisse également dans certaines références poétiques.
Vé appartient aux premiers temps du cosmos nordique, à une époque où seules les forces primordiales de feu (Muspelheim) et de glace (Niflheim) existent. Lui et ses frères sont considérés comme les premières générations des Ases, la principale famille de dieux nordiques. Malgré son importance initiale, Vé disparaît progressivement du panthéon scandinave et reste une figure secondaire comparée à son frère Odin, qui devient le souverain suprême des dieux.
II. Les mythes qui lui sont associés
Vé apparaît principalement dans trois récits fondamentaux de la mythologie nordique : la création du monde, la naissance des premiers humains et le bannissement d’Odin. Son rôle est souvent associé à celui de ses frères Odin et Vili, formant une triade divine qui joue un rôle central dans la structuration du cosmos et des civilisations humaines.
A. La création du monde
L’un des mythes les plus importants où Vé joue un rôle central est celui de la création du monde. Selon la Gylfaginning de l’Edda en prose, le cosmos était à l’origine un gouffre primordial appelé Ginnungagap, situé entre Muspelheim, le royaume du feu, et Niflheim, le royaume de la glace. De cette rencontre des éléments naît Ymir, le premier être vivant, un géant du givre, ancêtre de tous les Jötunns (géants).
Ymir est présenté comme une créature gigantesque, chaotique et avide, se nourrissant du lait de la vache cosmique Audhumla. Avec le temps, il engendre sans contrôle d’autres géants, menaçant l’équilibre du cosmos. Les trois frères divins, Odin, Vili et Vé, décidèrent alors de mettre fin à son règne en le tuant.
Le meurtre d’Ymir marque le début de l’ordre cosmique. Son cadavre sert à façonner le monde :
- Sa chair devient la terre,
- Son sang forme les mers et les lacs,
- Ses os deviennent les montagnes,
- Ses dents et fragments d’os forment les rochers et les pierres,
- Son crâne devient la voûte céleste, tenue par quatre nains nommés Nordri (Nord), Sudri (Sud), Austri (Est) et Vestri (Ouest),
- Son cerveau est transformé en nuages,
- Ses sourcils servent à construire Midgard, le monde des humains.
B. La création des premiers humains
Un autre mythe fondamental associé à Vé est celui de la création des premiers humains, Ask et Embla. Ce récit, rapporté dans la Gylfaginning (chapitre 9), met en scène les trois frères divins marchant sur une plage et découvrant deux troncs d’arbre échoués sur le rivage. Avec leurs pouvoirs, ils insufflent la vie à ces morceaux de bois et donnent naissance à la première humanité :
- Odin leur accorde le souffle de vie,
- Vili leur donne l’intelligence et le mouvement,
- Vé leur confère l’apparence, la parole, l’ouïe et la vue.
Grâce à ces dons, Ask et Embla deviennent les premiers hommes, capables de penser, de parler et d’interagir avec le monde qui les entoure. Dans cette optique, Vé est un dieu qui incarne la communication et la perception sensorielle.
C. Le bannissement d’Odin et l’infidélité de Frigg
L’un des seuls récits où Vé est mentionné après la création concerne un épisode controversé impliquant Frigg, l’épouse d’Odin. Selon la Saga des Ynglingar de Snorri Sturluson, Odin quitte Asgard pour un long voyage. En son absence, Vili et Vé prennent le pouvoir et se partagent son héritage, y compris Frigg.
Lorsque Odin revient, il retrouve son trône et sa femme, sans qu’aucune sanction ne soit mentionnée contre ses frères. Ce passage a donné lieu à plusieurs interprétations :
- Certains y voient un partage rituel du pouvoir, où les frères d’Odin jouent un rôle temporaire en son absence.
- D’autres y perçoivent une allusion à un ancien mythe où Vé et Vili auraient été des aspects fragmentés d’Odin, assimilés avec le temps dans la figure unique du dieu suprême.
- Enfin, certains chercheurs suggèrent que ce passage fait référence à un ancien rite nordique, où le pouvoir et la fertilité devaient être transmis en l’absence du roi ou du chef de clan.
L’accusation de Loki contre Frigg dans le poème Lokasenna fait également référence à cet événement et sous-entend que Frigg aurait laissé Vili et Vé partager sa couche en l’absence de son époux. Connaissant le personne de Loki (fidèle à son rôle de provocateur), il est tout à fait plausible qu’il s’agisse d’une insulte mensongère.
III. Ses amours et sa descendance
Contrairement à son frère Odin, dont les nombreuses unions sont bien documentées, Vé ne possède pas de descendance connue dans les textes mythologiques. Il n’est jamais mentionné comme ayant une épouse ou des enfants. Son rôle semble limité aux mythes cosmogoniques, après quoi il disparaît pratiquement des récits nordiques. Cela renforce l’idée qu’il pourrait être une divinité archaïque, progressivement éclipsée par Odin et d’autres figures plus actives du panthéon nordique..
Bien que Vé soit une divinité relativement obscure dans la mythologie nordique, son influence est perceptible à travers plusieurs aspects de la culture populaire et des études mythologiques. Certains spécialistes considèrent que Vé, aux côtés de Vili, représente des aspects fragmentés d’Odin. Dans cette hypothèse, les trois frères symboliseraient des facettes d’un même dieu suprême, Odin étant la figure dominante ayant absorbé les attributs de ses frères avec le temps. Son nom, signifiant aussi « sanctuaire », suggère qu’il pouvait être associé aux rites religieux et aux lieux sacrés des anciens Scandinaves. Certains temples et sanctuaires nordiques portaient des noms dérivés de « Vé », soulignant un lien avec des cultes oubliés. Il est possible que des vestiges de son culte aient influencé certaines pratiques rituelles en Scandinavie préchrétienne. Le terme « Vé » a survécu dans certaines langues nordiques et germaniques, désignant des lieux de culte ou des concepts liés au sacré.
Bien que moins célèbre que ses frères, Vé apparaît parfois dans les récits modernes inspirés de la mythologie nordique. Il est mentionné dans certains romans de fantasy et bandes dessinées explorant les origines du panthéon scandinave.