
Dans la mythologie celtique, rares sont les personnages comme Conall Cernach. Guerrier d’Ulster au tempérament fougueux, il incarne le courage, la loyauté et une soif inextinguible de justice. Mais quelle place occupe-t-il dans le panthéon des héros celtes ? Partez à la découverte de son histoire et de ses exploits.
I. Les Origines de Conall Cernach
La naissance de Conall Cernach est entourée de mystères et de présages. Selon certaines légendes, Conall serait né sous des auspices funestes, à une époque où l’Ulster subissait des attaques incessantes de ses ennemis. Dès son plus jeune âge, Conall montre des aptitudes hors du commun pour le combat, et sa soif de justice se révèle alors qu’il n’est encore qu’un enfant. De nombreuses légendes racontent qu’il aurait été béni par des dieux celtiques, qui l’auraient doté d’une force et d’une résistance exceptionnelles. Dans une époque de guerre constante, Conall est formé dès l’enfance aux arts de la guerre, et il se distingue par sa férocité et son sens de l’honneur.
En effet, ses premiers exploits laissent entrevoir son potentiel. Dès ses jeunes années, il manie l’épée et la lance avec une adresse qui dépasse celle de nombreux guerriers chevronnés. Cela lui vaut rapidement le respect des siens, mais aussi la jalousie et la méfiance de ses rivaux. Fils du druide Amorgen mac Eccit et de Findchóem, il est le frère de lait de Cúchulainn, avec qui il partage un lien indéfectible et un serment de vengeance mutuelle. Conall est souvent dépeint comme un guerrier brutal et invincible, arborant les traits d’un loup de guerre, toujours en quête de justice pour les siens. Il est parfois rapproché symboliquement de Cernunnos, le dieu gaulois cornu, en raison de son nom et de sa puissance sauvage. Connu pour dormir avec la tête d’un ennemi sous le genou, il incarne la terreur des guerriers du Connacht, un tueur né qui se bat sans relâche pour l’honneur d’Ulster.
Le nom « Cernach » se traduit souvent par « Victorieux », mais certains interprètent également ce nom comme « celui qui porte la victoire ».
II. Les légendes qui l’entourent
Conall Cernach est l’un des plus féroces et redoutables guerriers du Cycle d’Ulster, et ses légendes sont autant d’actes de bravoure que de récits de sang et de vengeance. Il apparaît dès l’enfance comme un champion sans égal, réputé pour avoir tué un homme du Connacht chaque jour de sa vie, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus à tuer. L’une des premières légendes marquantes le montre affrontant Conla, le jeune fils de Cúchulainn, qui arrive d’Écosse sans révéler son identité. Conall, envoyé à sa rencontre, est humilié par l’enfant qui le renverse avec une simple pierre de fronde et le fait prisonnier, préfigurant l’issue tragique du duel père-fils qui suivra.
Conall est aussi célèbre pour son affrontement avec le roi Mesgegra du Leinster, l’un des combats les plus symboliques de sa carrière. Mesgegra ayant perdu un bras au combat, Conall, en quête d’honneur, exige que son propre bras soit attaché pour égaliser le duel. Il remporte néanmoins la victoire, décapite son adversaire, puis pétrit sa cervelle avec de la terre pour en faire une balle de fronde magique, utilisée plus tard dans une chaîne de vengeance sanglante : Cet mac Mágach, son ennemi juré du Connacht, s’en empare et tue le roi Conchobar Mac Nessa avec cette arme insensée.
La rivalité entre Conall et Cet est un fil rouge de plusieurs récits. Lors du festin de Mac Datho, les deux héros s’affrontent verbalement à coups de récits d’exploits, chacun cherchant à surpasser l’autre. Conall finit par humilier Cet publiquement, se vantant de l’avoir déjà battu et de ses propres exploits meurtriers. Cette tension culmine lors d’un raid hivernal où Cet, après avoir décapité 27 guerriers, laisse une piste de sang dans la neige que Conall suit jusqu’à un gué. Là, les deux s’affrontent à nouveau, et Conall tue son rival dans un duel épique, bien qu’il soit lui-même gravement blessé.
Cette blessure le conduit à Belchu de Breifne, qui l’héberge et le soigne. Mais lorsqu’il retrouve ses forces, Belchu, craignant la vengeance de Conall, complote pour le faire tuer par ses propres fils. Conall, rusé, intercepte la conversation, force Belchu à prendre sa place dans le lit, et les fils assassinent leur propre père. Conall les tue ensuite un par un dans un acte de justice brutale.
Mais la légende la plus marquante reste celle de sa vengeance après la mort de Cúchulainn, son frère de lait. Lié à lui par un serment sacré, il se met en quête de ses meurtriers : Erc, Lugaid Mac Conroi et Maine Mô Ebirt. Il abat ces derniers avec la rage d’un homme qui a tout perdu. À Tara, il exécute deux guerriers qui osaient jouer avec la tête du héros mort, puis il confie cette même tête au jeune Cenn Berraide pour qu’elle soit remise à Emer, la veuve de Cúchulainn. Il tue ensuite Lugaid d’une seule main, afin de respecter un autre geis (tabou), et la pierre sur laquelle il dépose la tête fond sous sa chaleur, signe de la puissance surnaturelle de cet acte.
Son dernier grand épisode est d’une amertume tragique : affaibli, lépreux et fatigué, Conall se réfugie chez ses anciens ennemis Ailill et Medb. Bien qu’il les haïsse, il accepte leur hospitalité. Durant un an, il y est nourri, et divertit les hommes du Connacht en leur racontant comment il a tué leurs fils et frères. Mais la jalousie de Medb, ulcérée par les infidélités d’Ailill, le pousse à utiliser Conall pour le tuer. Lorsque la reine découvre son mari en galante compagnie, elle pousse Conall à agir : il tue Ailill d’un jet de lance, évoquant au passage sa vengeance pour Fergus Mac Roeg. Aussitôt pourchassé par les troupes du Connacht, Conall tue encore un grand nombre d’adversaires avant de succomber à son tour, frappé par une eau troublée, contrevenant à son geis final. Sa tête, immense, est emportée à l’ouest par les trois Loups-Rouges de Martine, et fait l’objet d’une prophétie selon laquelle elle redonnera la puissance à l’Ulster si jamais elle revenait au Nord.
III. Les Amours et la Descendance de Conall Cernach
Conall Cernach est moins célèbre pour ses amours que pour ses exploits guerriers, mais certains textes révèlent sa proximité avec la reine Medb du Connacht, bien qu’ambiguë. Accueilli chez elle et Ailill à la fin de sa vie, affaibli, lépreux et vieillissant, il devient à la fois leur hôte, leur divertissement et leur instrument de trahison. Medb l’utilise pour espionner son mari infidèle, et Conall, découvrant un adultère, tue Ailill à distance avec une lance, en représailles pour la mort de Fergus mac Roeg.
Côté descendance, les manuscrits médiévaux comme le Book of Lecan lui attribuent une lignée illustre : son fils Irél Glúnmár est considéré comme l’ancêtre des rois de Dál nAraidi et des Cruithni d’Irlande. Cette postérité relie Conall aux dynasties royales de l’Ulster historique, assurant sa trace dans l’histoire autant que dans la légende.
Conall Cernach, bien que moins célèbre que Cúchulainn, reste une figure emblématique du guerrier loyal, farouche et implacable. Il incarne l’idéal du champion d’Ulster, prêt à tout pour l’honneur de sa province et la mémoire de ses frères d’armes. Dans la littérature contemporaine irlandaise, il apparaît parfois en contrepoint de Cúchulainn, représentant une force plus brute, plus humaine, mais non moins héroïque.
Sa rivalité sanglante avec les guerriers du Connacht est devenue un archétype narratif dans les récits épiques. Aujourd’hui, Conall est parfois mentionné dans les relectures modernes du cycle d’Ulster, dans des romans, des adaptations graphiques ou même des jeux de rôle celtiques où son nom incarne la vengeance guerrière et la mémoire des pactes d’honneur. Sa fin tragique, tué après avoir vengé tous ses serments, en fait une figure sacrificielle et légendaire, dont le souvenir, comme celui de sa tête immense, attend de redonner force à l’Ulster dans les prophéties les plus anciennes.